De sa main libre, Mina tâte dans le fond sa poche les quelques pièces qu’elle a réussi à économiser au fil des jours.
- Eh bien, nous partirons dès demain matin, à l’heure où les gros bateaux quittent le port.
- Tu en es sûre ! Mais, c'est bien trop tôt !
- J'ai enfin fini de réparer la carriole et nous ne pouvons attendre plus longtemps. Tio, pars à la ville haute avec Petite sœur rassembler nos affaires et récupère Gustav. En attendant je vais essayer de négocier notre traversée avec le capitaine.
Le soleil est déjà bas dans le ciel lorsque Mina rejoint Tio et Petite sœur qui ont chargé leurs maigres effets sur la carriole.
- Alors, demande Tio, comment ça s’est passé ?
- C’est bon, nous embarquons demain matin au lever du soleil, répond Mina en tâtant sa poche désormais vide. Il faut que nous dormions un peu.
Le lendemain, dès l’aube, Mina attelée à la carriole, ils quittent la ville haute, traversent la ville basse sans un regard pour ce monde inaccessible et arrivent au port alors que le soleil commence à réchauffer la ville. Mais c’est pour avoir la désagréable surprise de voir que le bateau a déjà largué les amarres et que le capitaine leur fait de grands signes narquois en agitant dans sa grosse main poilue tout l’argent que Mina lui a donné.
- Et tu croyais que ces trois malheureuses piécettes allaient suffire pour monter sur mon bateau, crie-t-il à l'attention de Mina. Tu te fourres le doigt dans l'œil ma petite.
Mina est folle de rage. Maintenant il n'y a plus aucun espoir de traverser la mer. Soudain elle aperçoit quelque chose qui flotte dans l'eau. « Tiens, se dit-elle, ça me donne une idée. ». Elle repart aussitôt en direction de la décharge sous le regard interrogateur de Tio et Petite sœur.
- J'ai vu que les bouteilles en plastique flottent, s’époumone Mina tout en tirant la carriole sur la route chaotique, alors si nous réunissons tout le plastique de la décharge nous pourrons fabriquer un radeau géant qui nous transportera de l'autre côté de la mer !
Dès leur arrivée, Mina annonce son plan aux autres enfants en leur promettant de les emmener avec eux et pendant toute la journée, sous un soleil de plomb, tout le monde cherche, farfouille, construit, assemble. Au petit matin le radeau est prêt. Il est gigantesque. Le sol est en bouteilles en plastique, deux grands bidons ont été remplis d’eau potable, des fruits trônent dans des plats usagers, une voile a été bricolée par les plus grandes qui maîtrisent la couture et le vieux matelas crevé a trouvé une seconde jeunesse et sert de lit de repos pour les plus jeunes. Puis, les enfants attachent le radeau à la carriole. On tire, on pousse et tant bien que mal on traverse la ville basse pour rejoindre le port. On soulève le radeau pour le mettre à la mer. Tout va bien. Le vent s'engouffre dans la voile et bientôt on ne distingue plus la terre ferme. Mais soudain, le vent tombe. Pas la moindre petite brise ne vient caresser les cheveux des enfants. Alors que tout semble perdu, de grosses taches blanches apparaissent dans le ciel. Ce sont des oiseaux, ceux-là mêmes que Mina pensait être des rêves comme il y a des rêves de douceur, de beauté et de miel. De leurs puissantes serres ils empoignent le radeau et l’emportent dans les airs. Les enfants d’abord apeurés ont cessé de crier et regardent émerveillés l’océan défiler sous leurs yeux.
Ils arrivent enfin de l'autre côté de la mer. Il y a une grande plage de sable fin, des arbres fruitiers, aucune décharge et un charmant village aux belles maisonnettes semblables à celles de la ville basse. Les enfants remercient les oiseaux puis se précipitent vers les maisons, sonnent aux portes et supplient les habitants de les adopter. Tio lui aussi s'est engouffré dans une maison.
- Mina, regarde ! Il y a une baignoire blanche, un lit profond et une brosse à cheveux !